Branche sectorielle du
Fonds stratégique d’investissement (FSI), abondée par l’État, Renault
et PSA à hauteur de 200 millions d’euros chacun, le Fonds de
modernisation des équipementiers automobiles (FMEA) organise-t-il
lui-même le saccage industriel du pays qu’il devait, selon les
déclarations présidentielles et gouvernementales, plutôt endiguer ? Ou
autrement dit : ce fonds presque souverain, toujours présenté comme un
instrument d’intérêt public pour défendre les emplois, peut-il
conditionner son entrée dans le capital d’un groupe au licenciement de
centaines de salariés, à la fermeture d’unités industrielles en France
et donc à la délocalisation de ses activités dans des pays « à bas
coûts » ? Dans le torrent des grandes déclarations lénifiantes de
Nicolas Sarkozy, Christine Lagarde, Luc Chatel ou encore Christian
Estrosi (lire ci-contre), ces questions semblent aberrantes,
évidemment, mais à Ay (Marne), sur le site de PTPM, une des deux usines
françaises de l’équipementier automobile Trèves promises à la fermeture
après l’octroi par le FMEA d’une aide publique de 55 millions d’euros
en février dernier, elles se posent désormais avec acuité, gravité… et
dans la douleur.
Fonds il y aura
si licenciements il y a
Jusqu’à tout récemment, les 129 salariés de PTPM pensaient encore
avoir affaire à une simple histoire de « détournement de fonds
publics ». C’est dans ce sens qu’ils ont, dès l’annonce officielle de
la fermeture de leur usine en avril, appelé les contribuables à déposer
plainte pour utilisation frauduleuse d’une part de leurs impôts.
Associant salariés, citoyens et élus politiques, l’initiative a connu
un certain succès puisque près de 2 500 personnes ont engagé une
démarche en ce sens auprès du tribunal de grande instance de Reims.
Elle se répand désormais dans l’Oise, autour des salariés de Sodimatex,
l’autre usine menacée par le groupe Trèves, à Crépy-en-Valois, ou dans
les Ardennes ou l’Aisne, où le groupe Nexans envisage, après l’entrée
dans son capital du FSI pour 58 millions d’euros, de fermer des usines
et de licencier (lire l’Humanité du 13 octobre).
Mais chez PTPM, les salariés viennent de tomber de leurs chaises en
entendant Hervé Guyot, un ex-spécialiste de la finance et des banques
chez PSA, désigné directeur général du fonds, leur expliquer que les 55
millions d’euros accordés à Trèves l’avaient été sous la condition de
fermer deux usines en France, dont la leur. La scène se déroule le 14
octobre dernier, à Bercy. Ce sont les élus au comité d’entreprise de
PTPM qui ont demandé cette réunion, afin d’obtenir des éclaircissements
sur la fonction du FMEA et un « moratoire » sur la fermeture de leur
usine jusqu’à la définition d’un plan de réindustrialisation. Christian
Estrosi, ministre de l’Industrie, est représenté par son directeur
adjoint de cabinet, Hervé Guyot, directeur général du FMEA et membre à
ce titre du conseil d’administration du groupe Trèves. Face à lui, une
délégation d’une quinzaine de personnes avec des représentants
syndicaux de PTPM, des dirigeants des instances locales et nationales
de la CGT, l’expert du cabinet ACF et l’avocate désignés par le CE.
Selon des propos rapportés à l’unisson par les membres de la délégation
de PTPM, et pour lesquels ils produisent des attestations sur
l’honneur (1), le directeur général du FMEA a fait une déclaration
solennelle : « Je vais être transparent avec vous. Nous avons décidé
en janvier d’intervenir dans le groupe Trèves pour éviter un dépôt de
bilan et la décision a été prise en février : on a bien vu que le FMEA
ne pouvait pas intervenir sans une restructuration massive, la seule
solution viable, c’était la fermeture de deux usines non rentables,
dont celle de PTPM. »
Le rôle décisionnel
de l’état inexistant
À l’autre bout de la table, Christine Tuffin, déléguée CGT, n’en
croit pas ses oreilles et réclame une confirmation qu’elle obtient…
« Hervé Guyot était très à l’aise, sûr de son bon droit, se souvient
l’expert du cabinet ACF. Pour lui, la décision de fermer devenait
irrévocable à partir du moment où Trèves acceptait les aides
publiques. » Pour Stéphane Levasseur, secrétaire adjoint du CE, « ce
qu’on a très bien compris ce jour-là dans les propos du directeur du
FMEA, c’est que peut-être ils n’étaient pas là pour diriger l’opération
de fermeture des usines, mais que c’est eux qui avaient indiqué la voie
à prendre impérativement et qu’elle passait par la fermeture de PTPM. »
Selon François Claverie, secrétaire régional de la CGT en
Champagne-Ardenne, lui aussi présent à Bercy, « il y a un partage de
vues total entre le FMEA et Trèves : c’est Hervé Guyot lui-même qui a
laissé entendre qu’il pourrait y avoir d’autres fermetures si la
situation ne s’améliorait pas »…
Loin des engagements pris par le président de la République et
déclinés par le gouvernement, on connaît à présent la chanson du
fonctionnement réel du FSI comme du FMEA : attribution des aides
publiques hors de tout contrôle démocratique ou même simplement
parlementaire (lire notre entretien ci-contre), opacité sur les
conditions fixées par l’État à l’occasion de ces interventions
financières dans le capital de grandes entreprises privées,
revendication appuyée de l’État, en tant qu’actionnaire minoritaire,
d’un rôle limité, voire carrément inexistant, dans la définition des
stratégies industrielles de ces entreprises… Dans l’esprit des salariés
de PTPM, on est passé du détournement de fonds publics au détournement
du fonds public !
(1) Sollicités, hier, pour confirmer
la teneur de ces échanges,
le
directeur général du FMEA
et le service de presse du FSI n’ont pas
donné suite à nos appels.
Thomas Lemahieu
www.humanite.fr/